Tout d’abord, trois faits
Un fait social : les besoins en nouveaux logements restent très forts. Comment le nier ? Avoir un logement est un besoin primaire, c’est même un droit au regard de la loi française. Par conséquent, le nombre de logements doit s’adapter à l’évolution démographique (hausse de la population française) et sociale (décohabitation, séparations…). Il doit aussi s’inscrire dans une géographie. Non, les logements vacants dans les zones en déprise n’apportent pas de solution. Oui, le retour au « « plein-emploi » passe par la construction de logements au plus proche des emplois.
Un fait environnemental : les évolutions physiques de la biosphère s’imposent à nous. Demander à ralentir la réglementation environnementale ? Cela me rappelle un sous-préfet qui souhaitait, dit-on, modifier par arrêté les horaires de la marée. Chacun sait que nous sommes déjà (très) en retard sur à peu près tous les sujets : climat, énergie, biodiversité, eau, économie des ressources… Nous n’avons pas d’autre choix que de garder le cap, progresser, répondre au mieux, sans faillir.Un fait économique : la hausse des coûts de travaux est inéluctable. Les matériaux vont devenir de plus en plus rares. Il sera de plus en plus difficile de trouver des salariés du BTP, en raison des conditions de travail qui ne sont déjà plus acceptées aujourd’hui (on ne parle presque plus français sur les chantiers, c’est un signe). A ce stade, je ne vois pas d’autre option sur la table que l’industrialisation de l’acte de construire, pour espérer changer cette donne économique.
Que faire ?
C’est un enjeu redoutable que de concilier ces trois faits. Dans notre démocratie, ces faits doivent être d’abord critiqués puis consolidés. Dans quelle instance nationale ? Je n’en vois pas d’existante aujourd’hui. Pourquoi ne pas créer un « conseil d’orientation du logement » à l’image du « conseil d’orientations sur les retraites » ?
Puis, sur la base de ce diagnostic partagé, des orientations doivent être prises collectivement. Les débats publics, les votes bien sûr, les engagements à l’issue de travail de type « Grenelle de l’Environnement » sont des passages obligés. Dans cette délibération collective, le devoir des professionnels est d’innover, d’expérimenter, mais aussi de proposer, de donner leurs points de vue.
Je vais donc vous faire part d’un point de vue particulier.
Rapport d’étonnement
Nouvellement arrivé dans le domaine du logement, en 2017, je pensais que la règle d’urbanisme fonctionnait comme partout ailleurs : la règle est affichée, et personne n’est fondé à vous embêter tant que vous la respectez.
Partout ailleurs : vous pouvez rouler à la vitesse que vous voulez, tant que vous respectez les limites. Vous pouvez vous habillez comme vous voulez, tant que vous respectez la décence. Bref, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, tant que ce n’est pas explicitement interdit.
Dans le logement : vous déposez un permis de construire qui respecte toutes les règles en vigueur, et vous n’avez (à peu près) aucune chance de l’obtenir. Pourquoi ?
Car dans la pratique, vous devez au préalable négocier avec de nombreux interlocuteurs, entre les services et les élus. Plus la ville est importante, plus ils sont nombreux. Tout est négociable : le nombre de m2 à construire (c’est-à-dire le cœur de l’équation économique de l’opérateur), la forme du bâtiment, les matériaux utilisés, les couleurs, etc. Et même : les prix pratiqués, les cibles de clientèle, etc.
Dans ces négociations, certains interlocuteurs comme les architectes des bâtiments de France, ont un pouvoir presque sans limite, exercé sans collégialité, et sans égard pour les enjeux (économiques, environnementaux…) qui ne relèvent pas strictement de la préservation du patrimoine.
Peut-on encore se permettre cela ?
Si cette pratique reflète un contrôle très fort de la puissance publique sur ce qui est construit, ce qui est une bonne chose, elle pose à mon sens un double problème : économique et démocratique.
Un problème économique, car ces interventions créent une très grande incertitude chez les opérateurs. Personne, même les professionnels les plus expérimentés, ne peut prévoir avec certitude qu’elle sera la position d’un tel ou d’un tel dans les négociations. D’autant plus qu’il s’agit parfois « de goûts et de couleurs ».
Surtout, toutes ces négociations ont pour conséquence (pas toujours mais le plus souvent) la dégradation de l’équation économique de l’opérateur. Et donc : soit l’abandon de l’opération, soit sa réalisation dans des conditions plus complexes. Tout cela a un coût, que l’opérateur doit « récupérer » ailleurs : sur le prix des logements, in fine.
Un problème démocratique, ensuite, car toutes ces règles nouvelles qui résultent de la négociation n’ont pas fait l’objet d’un processus public qui en consolide la légitimité. Il y a un décalage spectaculaire entre l’élaboration d’un PLU, qui prend des mois de travail et de concertation, qui fait l’objet d’une enquête publique puis d’un vote en conseil municipal et/ou communautaire, et la pratique quotidienne de ces négociations, moins transparentes et plus arbitraires.
A l’heure où les enjeux du logement sont si redoutables, peut-on encore se permettre cela ? Revenir à une pratique plus « normale » de la règle d’urbanisme ferait baisser le prix du logement, n’abaisserait pas les ambitions environnementales, et aboutirait à plus de m2 de logements construits.
C’est donc, à mon sens, une partie de la réponse aux enjeux du logement.